jeudi 17 octobre 2024

L'attention est-elle une ressource en voie d'épuisement ?

 

Nos capacités d’attention sont devenues à l’ère numérique une ressource pour les Industries de programmes (Bernard Stiegler) visant à contrôler nos conduites pour les adapter aux besoins immédiats du marché. L’illustration  frappante en est que les enfants passent dorénavant plus de temps cumulé sur TikTok, Whatsapp ou Youtube qu’à l’école. Faut-il alors envisager l’épuisement de nos capacités individuelles et collectives d’attention ?

La masse globale des objets manufacturés sur la Terre est désormais supérieure à la masse totale des êtres vivants (Michel Lussault, géographe). Cette tendance n’est pas près de s’infléchir, en effet l’intensité de l’extraction des matériaux nécessaires à la production augmente plus vite que la population et que le PIB (source rapport de l’ONU cité par Michel Lussault), vérité que les discours lénifiants sur la transition énergétique masquent habilement. L’augmentation exponentielle de l’extraction matérielle est au service d’une entreprise générale de prédation et de destruction – formule plus précise que le trop vague « capitalisme » - à laquelle nous participons tous, que nous le voulions ou pas. La condition nécessaire de cette entreprise est l’extraction industrielle de nos capacités attentionnelles, individuelles et collectives, notre « temps de cerveau disponible ». Cet « extractivisme attentionnel » (Yves Citton) s’opère à travers les réseaux sociaux, les médias mainstream, les chaînes privées d’information continue ou de divertissement, et surtout la publicité omniprésent ; il a deux objectifs : orienter nos capacités attentionnelles vers les activités économiques marchandes - le travail et la consommation –, et les détourner de l’urgence absolue : un changement radical de notre mode de vie pour faire face au bouleversement écologique. Ainsi le principe général de la sphère médiatique est l’entertainment, terme anglais dérivé du français entretenir, qui signifie persévérer. Il s’agit donc bien de ça : capter notre attention pour permettre au système extractiviste de persévérer, au prix d’un bouleversement climatique dont on commence à peine à mesurer les effets dévastateurs.

Les ressources pillées par le système extractiviste sont en voie plus ou moins rapide d’épuisement, par contre si nos capacités attentionnelles peuvent être détournées, elles sont inépuisables. Par ailleurs, s’il semble si important de distraire notre attention, c’est qu’elle permettrait de penser collectivement une sortie du système extractiviste pour préserver la pérennité de l’habitabilité de notre Terre. Mais cette libération de notre attention implique un nouvel agenda politique : s’émanciper des industries médiatiques de l’extractivisme attentionnel. Quelle force politique porte ce projet libérateur ?