Nos capacités d’attention
sont devenues à l’ère numérique une ressource pour les Industries de programmes (Bernard Stiegler) visant à contrôler nos
conduites pour les adapter aux besoins immédiats du marché. L’illustration frappante en est que les enfants passent dorénavant
plus de temps cumulé sur TikTok, Whatsapp ou Youtube qu’à l’école. Faut-il alors
envisager l’épuisement de nos capacités individuelles et collectives d’attention ?
La masse globale des
objets manufacturés sur la Terre est désormais supérieure à la masse totale des
êtres vivants (Michel Lussault, géographe). Cette tendance n’est pas près de s’infléchir,
en effet l’intensité de l’extraction des matériaux nécessaires à la
production augmente plus vite que la population et que le PIB (source
rapport de l’ONU cité par Michel Lussault), vérité que les discours lénifiants
sur la transition énergétique masquent habilement. L’augmentation exponentielle
de l’extraction matérielle est au service d’une entreprise générale de prédation et de destruction – formule plus
précise que le trop vague « capitalisme » - à laquelle nous
participons tous, que nous le voulions ou pas. La condition nécessaire de cette
entreprise est l’extraction industrielle
de nos capacités attentionnelles, individuelles et collectives, notre « temps
de cerveau disponible ». Cet « extractivisme attentionnel »
(Yves Citton) s’opère à travers les réseaux sociaux, les médias mainstream, les
chaînes privées d’information continue ou de divertissement, et surtout la
publicité omniprésent ; il a deux objectifs : orienter nos capacités
attentionnelles vers les activités économiques marchandes - le travail et la
consommation –, et les détourner de l’urgence absolue : un changement
radical de notre mode de vie pour faire face au bouleversement écologique.
Ainsi le principe général de la sphère médiatique est l’entertainment,
terme anglais dérivé du français entretenir,
qui signifie persévérer. Il s’agit donc bien de ça : capter notre
attention pour permettre au système
extractiviste de persévérer, au prix d’un bouleversement climatique dont on
commence à peine à mesurer les effets dévastateurs.
Les ressources pillées
par le système extractiviste sont en
voie plus ou moins rapide d’épuisement, par contre si nos capacités
attentionnelles peuvent être détournées, elles sont inépuisables. Par ailleurs,
s’il semble si important de distraire notre attention, c’est qu’elle permettrait
de penser collectivement une sortie du système
extractiviste pour préserver la pérennité de l’habitabilité de notre Terre.
Mais cette libération de notre attention implique un nouvel agenda
politique : s’émanciper des industries médiatiques de l’extractivisme attentionnel. Quelle force politique porte ce
projet libérateur ?