« Libéralisme », peu de mots sont autant unanimement haïs
aujourd’hui. Pour la gauche, libéralisme signifie capitalisme débridé ;
pour la droite, libéralisme signifie relâchement des mœurs ; pour les
populistes de tous bords, libéralisme signifie technocratie ; pour les républicains,
libéralisme signifie tolérance du communautarisme ; pour les conservateurs,
libéralisme signifie effondrement des valeurs ;… Qui ose d’ailleurs encore
se réclamer de cette doctrine ? Même M. Macron, que l’on qualifie souvent
de libéral, ne reprend jamais à son compte cette étiquette, et on le comprend,
il chuterait immédiatement au fond des sondages. D'ailleurs on cherche en vain
le terme « libéral » sur le site de en-marche.fr. Mais alors faut-il
définitivement jeter le libéralisme aux poubelles de l’histoire, avec le
fascisme ou le stalinisme ?
Or notre
cadre politique de référence est la démocratie dite « libérale ».
C'est-à-dire une conjonction tout à fait singulière dans l'histoire, qui
associe le principe de souveraineté du peuple à un ensemble d'institutions « libérales »
visant à garantir les libertés individuelles. Cette conjonction est d’autant
plus fragile qu’elle ne va pas du tout de soi. En effet le principe de liberté
individuelle n'est pas a priori contenu dans l’idée de souveraineté du peuple ;
la démocratie a, pendant des siècles, été considérée comme le pire des régimes
car elle signifiait le pouvoir de la foule, une tyrannie de la majorité. Ainsi
le libéralisme tempère la démocratie en l’associant à un ensemble de principes
et d’institutions, visant à limiter le pouvoir de l’Etat, et à donner aux
individus un socle de protections leur permettant de vivre sans la crainte d’être
opprimé pour leur religion, leur orientation sexuelle, leur propre doctrine
morale ou politique.
Le
libéralisme bien compris ne réclame donc pas le dépérissement de l’Etat, mais
le renforcement de son rôle protecteur. Il s’oppose d’ailleurs aussi bien à l’Etat
autoritaire, à l’emprise des Eglises, au capitalisme débridé ou au communautarisme.
En effet la protection des libertés individuelles implique la limitation de l’emprise
des communautés pour lesquelles le groupe prime sur l’individu, elle implique
aussi une limitation stricte de l’intervention de l’Etat dans la sphère de la
vie privée, enfin, elle impliquerait une protection contre les structures de
pouvoir qui exercent une emprise et un conditionnement des individus : les
groupes industriels et leur bras armé, la publicité. Il faut donc bien
distinguer ce libéralisme politique bien compris de sa dérive économiste :
le néolibéralisme ou l’ultra-libéralisme ; il faut aussi le distinguer de
sa dérive technocratique qui confisque la démocratie au profit d’une petite
élite d’experts.
Cette prise
de conscience est urgente au moment où nous assistons, sidérés et impuissants, au
détricotage du lien entre démocratie et libéralisme, en Russie, en Turquie, au
Brésil, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Pologne et à nos frontières en Italie.
Il est urgent de défendre le principe libéral contre le retour de la face noire
de la démocratie : la démocrature.