Nouvelle crise de panique morale : « Ô stupeur !
Les élus de la République ne sont pas les parangons de vertu qu’ils devraient
être. Vite, hâtons-nous de « moraliser » la politique, et tout
rentrera dans l’ordre. » Que faut-il en penser ?
Je pense, quant à moi, qu’il faut préserver la
distinction entre la morale à la politique. La morale est le domaine du bien et
du mal, alors que la politique est celui de la volonté et du courage. De plus,
il y a une opposition entre les deux domaines : la morale est univoque et
inconditionnelle, quand la politique est nécessairement plurivoque et
conditionnelle, car faite de délibération entre différentes conception du bien.
Mais je vais plus loin : en politique le recours à la morale est un danger,
en deux sens :
-
d’une
part un pouvoir qui s’interdit le mensonge, la duplicité et le parjure, est
comme un agneau au milieu d’une meute de loups,
- d’autre
part un pouvoir qui se donne comme projet politique le Bien, la Justice, la
Vérité, sera légitimé à user de toutes les violences au nom de cet idéal.
Ainsi, comme Machiavel l’a magistralement exposé il y a
plus de 500 ans, le bon usage du pouvoir politique implique une mise entre
parenthèse de la morale : « Il
est parfois dangereux [pour le Prince] de
faire usage [des qualités morales], quoiqu’il
soit utile de paraître les posséder. »
Enfin, on veut à tout prix nous faire oublier cette
vérité anthropologique : le pouvoir corrompt les hommes, dans son exercice
(c’est la leçon de Machiavel), comme dans sa conquête : qui peut imaginer un
instant que l’on puisse atteindre les plus hautes places de pouvoir sans jamais
user du mensonge, de la calomnie ou de la trahison ?
La « moralisation de la vie
politique », plébiscitée par les citoyens, est donc, selon moi, un écran
de fumée pour éviter d’envisager une régénération de notre démocratie rabougrie.
A contrario de tous les appels lénifiants à « restaurer la confiance »,
une démocratie forte devrait promouvoir une saine défiance vis-à-vis du
pouvoir, ce qui implique une déprofessionnalisation de la politique, des
contre-pouvoirs multiples et indépendants, et surtout l’implication active des
citoyens dans la vie politique. Et ça, personne n’en veut.
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